Agriculture numérique : se préparer à autre chose

Hervé Pillaud est éleveur laitier en Vendée, secrétaire général de la Chambre d'agriculture et vice-président de la FDSEA. Il est arrivé à cette curiosité sur le numérique en créant un site internet partagé entre plusieurs OPA, puis une Web TV et en s'intéressant aux réseaux sociaux. Progressivement, il s'est intéressé au numérique, l'amenant à la rédaction d'un livre, Agronumericus. Devant son assistance, mardi soir, il a su susciter de l'intérêt, des interrogations, des craintes sur le changement anthropologique que représente le numérique. « Ce n'est pas une affaire de technologie. L'agriculture n'échappera pas à ce changement. Les agriculteurs ont leur destin en main. Il faut être optimiste ». D'ajouter : « La plupart d'entre nous est conscient que quelque chose est en train de changer, sans vraiment savoir quoi, entre autres parce que nous sommes dans un monde confortable et qu'il est difficile d'en sortir ». Cette nouvelle dimension est celle du numérique.
Pour Hervé Pillaud, le numérique est synonyme de révolution, de rupture et de renaissance 2.0. Une révolution car le numérique génère chaque jour une grande quantité d'innovations, repense la communication, revoit la façon de gérer et stocker l'information. Une rupture car il change les rapports au temps et aux territoires, change les rapports humains. Une renaissance post-moderne car la médiation, les échanges et la création de valeurs sont revus, la confiance est dématérialisée. Pour ce spécialiste du numérique, il n'y a pas de big-data sans volume (grandes quantités de données), sans variété (données différentes) et sans vélocité (capacité des données à se renouveler).
Hervé Pillaud estime que le numérique doit pouvoir offrir aux agriculteurs des outils pour améliorer les performances, réduire la pénibilité du travail, faciliter les échanges, tout en permettant un revenu décent. « De véritables challenges sont à relever, des opportunités semblent se dessiner ». Cela passera par une bonne couverture numérique du territoire, d'autant plus des territoires ruraux pour l'agriculture. Le numérique aura un impact dans plusieurs domaines : la gestion des risques (« la gestion des risques fait partie du métier d'agriculteur depuis toujours ; le numérique a sa place pour aider en amont et a posteriori pour analyser ») ; le financement (« nous allons passer d'un financement patrimonial de l'agriculture à un financement à l'usage » ; « l'échange de financement avec le consommateur permettra de le responsabiliser ») ; la recherche et développement (« jusqu'à présent, pour révéler les choses, on mettait en place des expérimentations, par manque de données, demain le big data permettra de révéler des choses plus rapidement ; la recherche va aussi se faire de manière plus participative ») ; le conseil et la formation (« le savoir est partout ; les métiers d'enseignant, de conseiller, de technicien vont évoluer ») ; les objets intelligents au service de l'agriculture (« même s'ils représentent une petite partie de l'utilisation du numérique ») ; le marché («anticiper le marché pour être au plus près des besoins du consommateur »).
Une utilisation intensive de connaissances
« Nous allons devoir imaginer une agriculture responsable grâce aux technologies ouvertes ». Hervé Pillaud propose trois règles pour aider à y parvenir : « retrouver nos fondamentaux, faire venir à nous la multitude, passer en mode créatif ». Hervé Pillaud a rappelé que c'est grâce aux réseaux, au collectif, au collaboratif que l'agriculture s'est modernisée après guerre. Pour que l'agriculture prenne son destin en main avec le numérique, elle doit s'appuyer sur ces fondamentaux, mais dans la dimension 2.0.
Selon Hervé Pillaud, «le numérique fait passer d'une culture d'utilisation intensive d'intrants à une culture d'utilisation intensive de connaissances ». Pour mobiliser l'intelligence collective, il faut mobiliser tous les savoirs (professionnels, militants, consommateurs), créer des coalitions de parties prenantes, proposer des challenges. C'est par exemple ce qui est développé avec Agri French Tech, qui vise à regrouper sous un même concept toutes les initiatives mises en place dans le but de développer le numérique appliqué au secteur agricole. L'objectif est de faire émerger des projets innovants qui favoriseront la mutation numérique de l'agriculture.
Hervé Pillaud assure qu'il faut « se préparer à autre chose. L'agriculture n'échappera pas au changement». Il a fait prendre conscience aux responsables d'OPA présents dans la salle que des choix cruciaux vont devoir être faits dans les organisations agricoles : mettre des moyens pour se protéger du nouveau monde qui se construit avec le numérique ou investir pour y entrer. Pour Hervé Pillaud, la réponse est claire : «Si nous n'y allons pas volontairement, nous serons forcés d'y aller. Il faut mieux être acteur plutôt que d'avoir à subir. Or, rester à l'extérieur, c'est subir. La solution pour l'agriculture passe par la création des réseaux collaboratifs maillés, par les blockchain. » A méditer et à retenir pour les mois et les années à venir...